Fraude au président et responsabilité du banquier
Rappel: la banque peut être reconnue responsable du préjudice subi par sa cliente victime d’une escroquerie.
La presse nationale s’est fait l’écho d’une fraude au président très élaborée qui a été réalisée en utilisant la technique du Deepfake et qui a permis aux auteurs de détourner la somme de 26 millions de dollars.
Cette affaire a tout d’abord le mérite de rappeler que la fraude au président demeure une menace réelle pesant sur les entreprises qui doivent continuer de sensibiliser leurs salariés à ce risque et mettre en place des processus interne de prévention.
Toutefois, si les chances de parvenir à recouvrer les fonds auprès de l’escroc sont quasi nulles il serait faux de penser que la victime d’une telle fraude n’a aucune chance de se faire indemniser puisqu’elle peut également agir contre son établissement bancaire.
En effet, le banquier teneur de compte a une obligation de vigilance qui lui impose de mener des vérifications en cas d’anomalie apparente dans le fonctionnement des comptes de son client. Cette anomalie peut être matérielle (par ex.: une signature non conforme au spécimen de signature en possession de la banque ) ou intellectuelle (un fonctionnement anormal du compte de la victime en raison du volume d’opérations ou du montant total des opérations).
En présence de telles anomalies, qui ne doivent pas échapper au banquier normalement prudent ou diligent, l’établissement bancaire qui exécute les ou les virements commet une faute qui engage sa responsabilité et l’oblige à indemniser son client du préjudice qu’il subit et cela même dans l’hypothèse où un des salariés de la victime a autorisé les opérations.
Or, bien souvent, les opérations réalisées dans le cadre de fraude au président présentent des anomalies intellectuelles puisque les escrocs vont se faire virer des sommes très importantes en un ou plusieurs virements et que ces opérations ne représentent aucunement un fonctionnement normal du compte du client.
Ainsi, à titre d’illustration :
- la Cour d’appel de GRENOBLE a jugé qu’a commis une faute l’établissement bancaire qui a exécuté 12 ordres de virement sur une période de 8 jours pour un montant total de 523.033,23 € « lequel représente douze fois le montant mensuel moyen des débits de la société »
- la Cour d’appel de LYON a retenu la faute de la banque qui exécute un virement de 186.280 € au motif que « l’attention de cette dernière devait nécessairement être attirée par la singularité du virement et notamment par son importance, par sa date en période estivale et le fait que la société destinataire n’était pas identifiée comme un cocontractant précédent de sa cliente »
- la Cour d’appel de PARIS a condamné une banque a payer la somme de 1,2 millions d’euros à son client au motif que les ordres de virement auraient dû susciter une réaction immédiate de sa part, puisqu’ils répondaient à tous les critères d’une « fraude au président retenus par le droit positif». En l’espèce il était reproché à la banque de ne pas s’être alerté de l’existence d’une signature identique sur chacun des ordres de virement et du fait que les ordres de virement avaient été émis pour un montant important, sur une courte période (à savoir la veille et l’avant-veille de Noël) ou qu’ils étaient au profit d’un destinataire auquel aucun virement n’avait été réalisé auparavant dont le compte était de surcroit situé dans un pays « connu pour être utilisés par les escrocs » (à savoir la Bulgarie)
En conclusion, le seul fait que les virements litigieux aient été autorisés par le titulaire du compte ou un de ses salariés ne suffit pas à exonérer la banque teneuse de compte de sa responsabilité.